Lancelot Hamelin

Auteur

Lancelot Hamelin a participé à la vie du Théâtre du Grabuge, à Lyon, avant de se consacrer exclusivement à l’écriture. Il travaille en relation étroite avec différents metteurs en scène : Mathieu Bauer Alta Villa, en 2007 à Théâtre Ouvert, Tristan et...en 2009 aux Subsistances,  Frédéric Maragnani Où, les cœurs ? en 2010 aux Subsistances, et Shoot the freak ! , Éric Massé Mythomanies Urbaines, à la Comédie de Valence et à la Comédie de Saint-Étienne, et Christophe Perton Le Procès de Bill Clinton en 2009 à la Comédie de Valence. Il collabore à la dramaturgie de la pièce La Folie d’Héraclès d’Euripide et écrit un prologue « Olympus corporation » pour la création en 2010 à la Comédie de Valence et à la Comédie Française.  Après avoir écrit une série de cinq textes sur les blessures de la guerre d’Algérie, Voix dans un hôtel de montagne, où il traitait des relations entre l’intime et le collectif, Lancelot Hamelin travaille à présent à partir de commandes. La mythologie mise en écho avec le monde contemporain semble être un des fils conducteurs de son travail actuel. 

HERCULE FURIE

Les portes de la maison d’Héraklès ont été murées par les hommes de Lycos. Nous avons tout perdu. La rue est notre refuge. Nous avons le ventre vide. Nous attendons la mort. Nous n’avons plus d’espoir.

Oui, j’en appelle aux amis, s’il en reste… Ceux qui ont reçu nos appels ont fait la sourde oreille, et les autres sont passés à côté du message. Et les autres sont encore sont trop loin, ou bien… Mais je crains que ces informations se dissolvent et se perdent dans le brouillard des informations.

Amphitryon éteint la caméra.

LE PROCÈS DE BILL CLINTON

Mémoire 7 – décembre 1998 - Le cadeau

Denys : Un peu avant Noël, j’ai invité chez moi les deux frères de Nedjma, et sa future belle sœur… Elle avait apporté un cadeau. On n’a pas ouvert le paquet. L’un des deux frères s’est présenté à moi en disant :

Le frère 1 : Tu vois, moi, je suis resté bloqué dans le passé.

Denys : Au cours de la soirée, il a raconté beaucoup d’histoires de l’époque où leur mère était encore avec eux.

Le frère 1 : Tu étais toute petite Nedjma…

Nedjma : Je n’ai aucun souvenir, j’ai oublié, raconte…

Denys : D’une certaine façon, son frère est en train de me présenter sa sœur. On ne sait pas vraiment retranscrire en mots la perception brute… A un moment, Nedjma parle d’un musée où nous sommes allés voir une exposition sur l’art antique.

Nedjma : Au dos d’un miroir, on avait représenté la déesse de l’amour. Elle portait un voile et mangeait une grenade. Il y avait aussi la déesse qui annonce la mort, elle a de grandes ailes recouvertes avec des yeux, des milliers d’yeux ouverts, et elle vient annoncer aux êtres qu’ils vont mourir. C’étaient les déesses des étrusques…

Frère 2 : Les frusque de qui ?

Nedjma : Les étrusques. C’est un peuple en Italie, avant les Romains.

Frère 1 : Tu nous quittes, Nedjma. Tu vois, depuis que tu fréquentes des Français, même ton vocabulaire commence à changer. Et ce collier à la place de la rhamsa, c’est nouveau ?

LYCOS

Lycos :

Le langage technique

Sera-t-il plus ennuyeux

Que le langage mythologique ?

La Loi du Marché est notre mythologie

Le Bourse, son Olympe, et Crise

Croissance, Crédit, Capitaux, Dette,

Fortune, Pétrole, Or, Immobilier,

Matières Premières sont nos dieux,

Avec Armes, Sexe et Drogue…

ADN, Entertainment et Automobile

Mode, Alimentaire, Pollution et Ecologie…

Mais aussi le Super Tanker, le Cygne Noir,

Les Actifs Toxiques, Le Titanic,

Et les Vagues Scélérates, et les Chandeliers,

Et la Main Invisible…

Cela sera-t-il vraiment plus ennuyeux ?

Pas si c’est nous, les Traders,

Qui chantons l’épopée…

ETANT DONNE

Dans le quartier chic d’une grande ville, très tard dans la nuit, à travers les grandes baies vitrées d’un immeuble luxueux, il y avait cette femme très belle, qui titubait sur ses talons au milieu des miroirs, des plantes vertes et des boîtes aux lettres en cuivre bien astiqué. Cette femme de 40 ou 45 ans, maquillée et très élégante, me semblait être l’idée de « femme » surgie du ciel des idées : elle n’avait rien d’une mère, elle n’est plus ni une jeune fille, ni une jeune femme, (l’avait-elle jamais été ?), elle semblait en revanche être ce que toute petite fille imagine devenir, ce que toute épouse, toute vieille femme regrette de ne pas, de ne plus être, de jamais être. Elle était à mes yeux comme un aperçu de l’archétype… Elle semblait être née de cet instant-là, et destiné à y rester, ou à retourner dans la nuit.